Résumé :
La reprise du Haut-Karabagh en 2023 par Bakou et l’occupation par l’armée azerbaïdjanaise de territoires situés sur les hauts pâturages frontaliers arméniens, sera l’occasion d’aborder, à travers une étude à la fois géographique et ethnologique, un volet oublié de ce conflit : la question pastorale et celle du bouleversement des complémentarités territoriales dans le sud du petit Caucase durant la République d’Artsakh (1998-2023).
Le pastoralisme, entendu comme un élevage extensif utilisant de manière saisonnière des parcours selon la disponibilité de l’herbe découle de configurations géographiques, sociales et politiques. En témoignent les nombreux travaux en sciences humaines (Ferret 2014 ; Brisebarre et al. 2018 ; Digard, 2015 ; Tapper, 1997) ou en sciences exactes qui ont mis l’accent sur plusieurs aspects autres que la seule dimension économique du phénomène. Dans l’Arménie post-soviétique, comme nous le verrons, le pastoralisme met en lumière l’hémorragie migratoire, l’enclavement du pays et le souci d’occupation des territoires ruraux de marges vidés de leurs habitants azéris (Ardillier-Carras 2004). Il est un formidable exemple de la culture de la mobilité qui caractérise les arméniens aujourd’hui, notamment dans la quête du petit boulot répondant à des logiques de survie économique (Hovanessian 2017). Il révèle également tout son potentiel capitalistique et mondialiste dans sa relation avec l’entrepreneuriat et les réseaux transnationaux. Comment les territoires circulatoires pastoraux du sud du Petit Caucase ont-ils traversé les années de la république autoproclamée de l’Artsakh ? Comment ceux-ci ont été investis d’un point de vue identitaire, géographique et politique par les acteurs en présence ? Ma présentation se focalisera sur ce que je nomme les résistances pastorales dans le Syunik durant les années de la République de l’Artsakh (1991 à 2023). Dans une première partie, je dresserai un état des lieux succinct de l’élevage ovin en Arménie avant 2023. Dans une seconde partie, je m’attarderai sur les exemples de pratiques pastorales populaires et traditionnelles dans le Syunik. Ici, il sera question de double transhumance transfrontalière avec le Karabagh, de la ronde aux moutons. Une troisième partie abordera un autre aspect marquant apparu durant mes enquêtes et que je nomme la pastorale évergétique, c’est-à-dire des initiatives venant de riches hommes d’affaires arméniens, s’impliquant directement ou indirectement dans l’élevage ovin. La conclusion posera le présent en perspective pour des enquêtes de terrain ultérieures.